Entreprises & Services

La passion du conseil

Laurent / Publié le 15:26 22.06.2022 | 05 min


Ce matin, un bruit métallique intrigue les badauds qui se promènent devant le Palais Grand-Ducal. En levant les yeux au ciel, on comprend mieux d’où il vient : c’est l’heure de hisser le drapeau national, ce qui signifie que le Grand-Duc est présent. Devant l’entrée principale, le Service de garde des châteaux patrouille. Le rituel.

Au même moment, un cycliste, pressé, traverse la place et s’arrête au numéro 5 de la rue de la Reine. Son regard croise brièvement celui d’un militaire de la garde. « Je ne cours pas après le pouvoir. Jeune, j’avais envisagé la carrière de militaire. Avoir des responsabilités. Sans doute commander. Mais je n’aime pas envoyer des gens au casse-pipe », nous dit-il en rangeant son vélo. Philippe Wery, 49 ans, musicien à ses heures et surtout chef d’entreprise, pourrait aussi être un de ces personnages politiques. Il aime parler et s’intéresse à tout. « J’y ai un jour pensé, j’y pense toujours d’ailleurs, mais j’ai préféré écouter sagement ma compagne qui me préconisait de bâtir sur ce que je faisais déjà avec succès. Pourtant, j’aime l’idée de service public que cette fonction doit apporter au plus grand nombre. Mais chacun son métier. Par contre, j’ai toujours aimé, et cela dure depuis bientôt vingt ans, conseiller les pouvoirs publics, Ministères, Administrations et autres Entreprises publiques. Cela me donne le sentiment d’apporter ma pierre à l’édifice sociétal ».

Privé, public. Même combat. Ce côté « service public » est cher à notre homme. C’est d’ailleurs ce qu’il souhaite d’abord mettre en avant dans son métier. Pour lui, il ne doit pas y avoir de distinction entre le privé et le public. « Le métier de consultant est un métier au service de l’autre qui facilite les améliorations et les réactions dans les organisations publiques comme privées », rappelle-t-il. Philippe Wery est connu dans le pays en tant que consultant. Il a aussi collaboré avec le gouvernement lors de la crise sanitaire. Un expert pour lequel on pourrait dire qu'il a déjà tout connu dans sa carrière , tant son parcours est riche. « J’ai eu la chance de diriger des structures très diverses : club de sports, sociétés de services, ASBL, entreprises industrielles. On n’en a jamais fait le tour. J’aime la diversité intellectuelle dans le travail. Je préfère être dirigeant dans un métier que j’aime, même si je pourrais l’être techniquement dans beaucoup de secteurs différents. Regrouper le métier de consultant et celui de dirigeant est le bonheur que je m’octroie depuis quelques années. L’autonomie amène l’autonomie. Comment me définir ? Manager, consultant et entrepreneur. ». Les gens se rappellent sans doute son passage chez Arendt Business Advisory. Six années de défis, de rencontres, dont il dit en sortir grandi. Une aventure qui s’est transformée en pandémie. Un échec ? Avant tout, une occasion de mener une introspection à l’aube de la cinquantaine. Ce fut le point de départ pour se lancer, à nouveau, dans le conseil aux entreprises. TheCatalysts est ainsi née !

De la consultance haut de gamme Une entreprise haut de gamme de conseils intellectuels. « Le nom ? Un hommage à mon père qui était chimiste et en même temps un nom qui reflète tellement bien ce qu’est le rôle d’un consultant. Un facilitateur, un agitateur de réaction, intervenant en arrière-plan, mais qui participe activement à la transformation positive d’une organisation. On vend du temps de prestation intellectuelle. On se doit de toujours être au top. Il faut réaliser des choses qui soient intelligentes, mais aussi intelligibles », insiste-t-il. On sent qu’il souhaite redorer cette image du consultant. En vingt ans, le milieu du conseil, ou de la consultance (au choix) a fortement évolué. Les entreprises sont devenues plus exigeantes. L’Europe et ses réglementations à outrance ont obligé les experts à connaître plus de matières. Un bien et un mal à la fois, car l’actualité rappelle que ce métier ne s’improvise pas et qu’il est parfois mal perçu car assimilé erronément à des influenceurs de l’ombre (NDLR : McKinsey and Company). « Je ne cracherai jamais dans la soupe, on fait tous un super métier et je ne vais pas critiquer mes concurrents. Dans notre secteur, tout le monde trouve sa place. Le métier a évolué, les grands cabinets ne font plus rêver autant qu’il y a vingt ans. Beaucoup d’entre nous, les « consultants de l’arrière-garde », avons rejoint les entreprises et le secteur public, ce qui a obligé le métier à se réinventer, car l’exigence a augmenté en même temps. Certains ont réussi cette transition, d’autres luttent encore avec leur modèle d’affaires. Le temps des jeunes consultants expérimentés envoyés par grappes chez le client est selon moi appelé à disparaître. De notre côté (NDLR : il travaille avec son employé Thomas), nous voulons apporter une prestation de qualité mais aussi des idées fraiches », dit-il encore.

Le Luxembourg, toujours intéressant de s’y installer. On aurait pu vous en dire plus sur le personnage, mais on en oublierait presque le motif de notre visite. « Ah oui ! Mon avis sur l’entrepreneuriat », rit-il. Une vision réaliste de cet entrepreneur. Avec Philippe Wery, pas de langue de bois. On va à l’essentiel. « Non, ce n’est pas plus compliqué de créer son entreprise au Luxembourg. Pas plus qu’ailleurs en tout cas. Me concernant, je devais remettre un dossier complet pour ouvrir TheCatalysts. Comme tout le monde. La procédure. Alors qu’il ne m’a fallu que quelques jours pour réunir des documents ici, j’ai galéré en Allemagne pour en recevoir un autre spécifique. Il est finalement arrivé après plus de trois mois d’attente et de relances. Mon cas est peut-être différent, mais cela reste une procédure qui ne me semble pas forcément plus compliquée qu’ailleurs. » Pourquoi ouvrir sa structure au Luxembourg ? Ce point est crucial, car bon nombre de personnes ont tendance à croire à l’eldorado. « C’est ça le piège avec le Luxembourg. Évidemment, ouvrir sa boîte et travailler ici a déjà un grand avantage. Et non des moindres. Je parle de la couverture sociale. En tant qu’indépendant, vous avez nettement plus de sécurité qu’ailleurs (NDLR en Belgique par exemple), et cela incite à l’entrepreneuriat. Mais les gens sont souvent mal préparés. Conseillés (clin d’œil). Trop souvent, on voit des faillites arriver dès l’élaboration de leur plan d’affaires. Exemple ? On ouvre un établissement culinaire, on croit que c’est simple et moins de trois ans après, on met la clé sous le paillasson. On pourrait parler d’un manque de sérieux, mais c’est plutôt un manque de compétences en gestion associé à un projet qui n’aura pas été suffisamment challengé dès sa conception », estime notre homme. D’où l’importance d’être guidé. Les clés de la réussite ? « L’entrepreneuriat, c’est un état d’esprit. D’abord prendre le risque de tout perdre, car on doit investir dans ses propres affaires, c’est la base. Sinon, comment quelqu’un croirait en vous si vous n’y croyez pas vous-même. Mettre ses billes dans la balance, c’est un signe positif pour les tiers. C’est finalement ça, se dire être entrepreneur. Pour éviter ça, il ne faut donc pas improviser. On doit travailler dur. Il faut avoir des idées. Une vision à long terme. Ne surtout jamais s’éloigner de ses affaires. Il faut aussi disposer d’un capital de départ et penser qu’on paye d’abord les autres avant de recevoir un salaire. Je dis d’ailleurs souvent qu’il faut d’abord payer les salariés, puis l’État, puis les fournisseurs, puis garder des fonds en réserve pour l’avenir, et seulement après, s’il reste quelque chose, j’aurai un revenu (rires). Il faut enfin s’entourer de bonnes personnes et…avoir une bonne relation avec son banquier. » Philippe Wery a commis quelques erreurs dans sa carrière, il se plaît à le dire sans honte. Comme beaucoup d’autres avant lui. Il a appris beaucoup de cela et ne souhaite pas revivre pareille situation. « On construit une réputation en années et on la perd en minutes », aime-t-il rappelé. Mais attention, l’entrepreneur ne doit pas non plus être, selon lui, toujours fortement aidé. Pour ne pas prononcer le terme « assisté''. `` « Il existe des aides au Luxembourg lorsqu’on souhaite se lancer. C’est bien. Suffisantes ? Je ne crois pas que ce soit un bon débat. Si on veut rester crédible, on doit mettre son argent dans son affaire, comme je l’ai souligné. Sinon, je ne pense pas que ça motive l’entrepreneur à réussir pleinement », pense-t-il.

Le temps passe vite. Il est déjà l’heure de se dire au revoir. Il est midi. De son bureau, on peut voir la garde royale en train de réaliser un protocole de relève. Philippe Wery est déjà descendu, s’apprête à enfourcher son vélo électrique. Il passe bientôt devant le Palais, croise à nouveau le regard d’un militaire en faction. Le rituel.