Développement durable

D'Fair Mëllech, le lait équitable

Laurent / Publié le 09:48 26.10.2022 | 06 min


D'Fair Mëllech, le lait équitable

Danielle Warmerdam est présidente de la coopérative D'Fair Mëllech, le lait équitable. Après la crise du lait en 2009, la situation s’est améliorée. Aujourd’hui, le secteur se porte mieux. De quoi se montrer optimiste sur l’avenir de la profession.

Pourquoi avoir créé D'Fair Mëllech?

2009, l'année des prix du lait misérables ! Les producteurs laitiers n'ont pas trouvé d'autre solution que de descendre dans la rue et de déverser leurs récoltes dans les champs. Cette action de désespoir à l'échelle européenne a eu un grand retentissement médiatique. Les consommateurs ont été secoués et beaucoup se sont demandés quel lait ils devaient acheter pour soutenir directement les producteurs. C'est ainsi que les producteurs laitiers, réunis au sein de l'European Milk Board (EMB), se sont rassemblés pour développer un concept qui devait nous redonner le pouvoir de décider de notre lait. Nous ne voulions pas nous en remettre à la Politique. Il fallait prendre notre destin en main. Au Luxembourg, quelques producteurs laitiers se sont regroupés et ont tenté de créer leur propre marque. Un concept de marketing stratégique intégrant des critères compréhensibles sur l'économie solidaire, la durabilité, la protection du climat et la région a été élaboré en collaboration avec Convis (voir convis.lu). Les nuits ont été courtes, car l'élaboration d'un tel concept a nécessité de nombreuses heures de travail et de discussion. Un transformateur a été trouvé au Luxembourg pour conditionner le lait luxembourgeois et le livrer dans les magasins : Luxlait. Cette collaboration existe encore aujourd'hui.

Comment avez-vous ensuite fait pour vendre ce lait?

Un grand pas était fait avec la création de la marque D'Fair Mëllech, mais il fallait effectivement vendre le lait. Personne ne s'attendait à cette initiative des agriculteurs et l'enthousiasme n'était pas au rendez-vous. Que voulaient à nouveau les producteurs laitiers ? Le scepticisme était grand. Il a fallu beaucoup d'efforts et d'explications pour faire comprendre aux détaillants alimentaires la nécessité d'une telle marque, et les convaincre de réaliser une marge plus faible afin de garantir un prix équitable aux producteurs. Après deux années de nombreuses discussions et négociations, le moment était venu en février 2011 : le premier lait UHT à 3,5% de matière grasse était lancé sur le marché luxembourgeois. Nous avons fait beaucoup de publicité tout au long de cette année, de sorte que de plus en plus de supermarchés ont décidé d'acheter notre lait. Les dégustations qui ont suivi dans les magasins ont permis d'augmenter les ventes de 20%. À l'automne 2011, un deuxième produit a été commercialisé : 1 L de lait UHT à 1,5% de matière grasse (partiellement écrémé) avec le partenaire Luxlait. Les ventes ont été si bonnes et l'enthousiasme et la motivation si grands qu'en avril 2012, du beurre a été emballé et commercialisé pour nous.

Combien de membres composent actuellement la coopérative D'Fair Mëllech?

Aujourd’hui, nous comptons 57 agriculteurs. Sur l’ensemble du territoire, cela représente 15% des producteurs spécialisés dans le lait. Au GDL, on compte pratiquement 600 fermes, ça laisse donc encore pas mal de marge. On pourrait avoir plus de membres, mais ce qui bloque les agriculteurs, c’est surtout la notion de temps. Dans notre cahier des charges, nous voulons que les adhérents consacrent au moins une douzaine d’heures par an à la promotion de leurs produits. C’est-à-dire qu’ils doivent aller dans les points de vente et valoriser leur métier. Une autre façon de créer un lien direct avec les consommateurs. Une grande majorité n’a pas le temps ou n'ose pas. Tout le monde est le bienvenu.

Expliquez-nous brièvement le fonctionnement de cette coopérative

L’agriculteur produit son lait et le vend à luxlait (la seule laiterie au GDL, mais trois autres possibilités existent en Allemagne ou en France). La coopérative achète ensuite le lait emballé et le revend aux différents points de vente. Le consommateur achète le lait, le magasin engendre des profits. Nous encaissons ensuite un pourcentage sur ces ventes. Les bénéfices obtenus iront ainsi dans les poches de l’agriculteur. La répartition est la même pour tout le monde. Que vous ayez 20 ou 500 vaches, vous aurez un montant similaire. C’est le principe de la solidarité entre agriculteurs. Tout le monde doit travailler et vivre décemment. Les règles sont acceptées par les membres, il n'y a pas de jalousie entre les petites et les grosses exploitations laitières.

Comment se porte la filière lait aujourd’hui?

Je suis satisfaite, rassurée et optimiste pour la suite. La situation des agriculteurs est meilleure que dans le passé. En 2009, la crise du lait était une période noire pour notre secteur. On travaillait, mais nous ne savions pas en vivre décemment. C’est pour cela qu’il fallait réagir et que nous avons créé cette structure. Certes, les prix des matières premières ont grimpé en raison de l’inflation et du conflit ukrainien. Les coûts de production ne sont jamais totalement couverts, mais ils sont stables aujourd’hui. Tant que cet équilibre reste, les agriculteurs peuvent vivre décemment. Quant au prix moyen du lait, il est également stable et c’est une bonne chose. D’autant qu’en ce moment, il tourne autour de 0,55€/litre. En 2021, la moyenne annuelle s'élevait à environ 0,36€/litre. C'est donc un prix 2022 actuellement correct. Evidemment, il fluctue chaque mois, c’est comme ça dans cette filière lait. Mais le ratio coût de production/prix de revient reste bon. C’est nettement plus intéressant qu’il y a quelques années.

Le réchauffement climatique pose-t'il problème dans la filière lait?

Pour cette année, oui. Avec les réserves de l'année passée, les animaux ont de quoi se nourrir, car les récoltes de 2021 ont été bonnes. On verra bien ce que nous réserve l’avenir, personne ne peut prévoir l’évolution du climat. De toute façon, l’agriculteur s’adaptera à tout changement climatique. Il fait en fonction de la météo et des caprices de la nature depuis la nuit des temps.

Est-ce que la relève est prête?

Laissez-nous gagner notre beurre et on ne devrait pas avoir trop de problème dans le futur avec la relève (rires). On voit que les jeunes reviennent dans cette filière. Bien entendu, cela reste une vocation, souvent un héritage familial et toujours une fierté. On ne devient pas agriculteur du jour au lendemain. Il faut faire ce métier par plaisir, par passion, y mettre tout son cœur. C’est parfois dur et incertain, c’est vrai. Si on n’accepte pas ce challenge, mieux vaut changer d’orientation. Le plus grand danger, c’est qu’on ne maîtrise pas la suite des évènements. Si de nouvelles crises apparaissent, cela peut déstabiliser le marché et on se retrouve en difficulté, du jour au lendemain. On n’est jamais à l’abri de retrouver une situation similaire à celle des années 2009. Même si tous les voyants sont quand même “au vert” en ce moment.

Quels sont les projets à réaliser?

Nous sommes en train de développer “D'Fair Fleesch”, le même concept que pour le lait mais avec de la viande. Une vingtaine d’agriculteurs sont déjà membres. La Provencale est notre partenaire, elle s’occupe de l’emballage et de la distribution des colis. Sauf changement, au début octobre, le consommateur trouvera nos colis de viande en magasin. Il faut savoir que ce sont les producteurs de viande qui sont venus nous trouver. Leur secteur était en crise. Ils ont voulu du changement. Comme ils ont vu que la situation du lait s'améliorait grâce au concept “D'Fair Mëllech”, ils se sont dit qu’on pouvait les aider et faire de même avec le secteur de la viande. Depuis deux ans donc, nous mettons cette nouvelle coopérative en place. Dans le futur, d’autres acteurs du secteur agricole pourraient nous rejoindre: producteurs de céréales, de vins, des maraîchers par exemple. Rien n’est impossible. Ensemble, œuvrons pour la pérennité de nos métiers.

Claude Thiry, agriculteur membre de la coopérative D'Fair Mëllech

Été 2022, dans une prairie de 60 Ha comme on en trouve ailleurs dans le pays. Ici, à Schouweiler, le mercure affiche 35 degrés, l’herbe est loin d’être verte. Les 70 vaches laitières de Claude Thiry n’ont pourtant pas l’air de souffrir de la chaleur et ne manqueront de rien cet hiver. “On avait prévu le coup! Il me restait encore du foin en stock et pour éviter de tomber à court, j’ai acheté des céréales. La sécheresse de cet été ne sera pas un problème cette année, mais c’est clair qu’il va falloir être attentif dans le futur et suivre de près ce changement climatique”, explique Claude Thiry. Depuis la nuit des temps, les agriculteurs se sont adaptés à la terre, et non l’inverse. “Nos champs sont généralement remplis de plantes comme le trèfle ou la luzerne, mais d’autres variétés peuvent convenir. Je pense notamment au maïs, dont les racines sont plus profondes et qui peut donc aller chercher l’eau plus loin dans le sol. Voilà peut-être une piste à suivre si on voit que les périodes de sécheresse s’accumulent.” Claude Thiry a repris l’exploitation familiale à la fin des années 80. Et depuis 2013, il s’est lancé dans la production de lait. Une nécessité. “On devait diversifier nos activités pour faire vivre toute la famille. Il y a environ 10 ans, l’objectif était d’arriver à engager plusieurs personnes. On peut être contents, car nous avons 2 employés en plus de ma belle-fille et moi-même. Chaque année, nous produisons environ 250.000 litres de lait. C’est ce qu'on souhaitait à nos débuts, on y est arrivés ”, dit-il fièrement. Car après les années de crise (2009), les temps ont été durs. Le prix actuel du lait est un prix qui nous permet de travailler plus sereinement. Si les dix dernières années ont été difficiles, je suis plus optimiste pour les dix années à venir. Attention quand même : l’Union européenne ne doit pas non plus modifier les réglementations tous les 4-5 ans comme elle l’a trop souvent fait. Les agriculteurs ne peuvent pas s’adapter en fonction des désirs de ces élus. Si quelqu’un achète du matériel agricole par exemple, il doit l’amortir sur plusieurs années. Si l’UE change sa politique en cours de route, l’agriculteur ne pourra plus se permettre de changer aussi rapidement. Vous comprenez? ”, dit-il. Claude Thiry fait partie de la coopérative D'Fair Mëllech. Cette dernière lui achète la moitié de sa production laitière. Il peut donc vendre directement la moitié de sa production de lait à qui il souhaite. “Faire partie de la coopérative m’apporte quand même une sécurité. Rien qu’au niveau du prix, je sais que je ne vais pas vendre à perte.” Produire du lait traditionnel, privilégier le circuit court et pouvoir gagner sa croûte, tel est son leitmotiv. “Une fois la traite terminée, on ne fait que la pasteurisation et rien de plus. Il faut limiter les opérations pour conserver une qualité optimale. Dans les entreprises laitières industrielles, il y a plusieurs étapes pour séparer les matières grasses avant d’obtenir le lait fini. Notre lait peut se conserver une dizaine de jours. Ce qui fait sa particularité? Bonne question, il faut le goûter pour comprendre pourquoi il est si bon! Je ne saurai pas vous l’expliquer avec des mots”, précise-t-il encore en riant. A côté de l’activité laitière, Claude Thiry se diversifie. Dans sa ferme, on peut ainsi y trouver du yaourt et des glaces artisanales. Pour le plus grand plaisir des consommateurs qui viennent lui acheter ses produits.