Politique & Collectivités

Ukraine-Russie : l’émotion motrice de changements?

Julien Brun / Publié le 15:09 09.03.2022


Alors que les bombes tombent toujours plus durement sur l’Ukraine, les sanctions internationales à l’encontre de la Russie vont crescendo. Au-delà des mesures politiques et économiques, des décisions de censure et de boycotte se multiplient également sur les marchés et touchent presque tous les secteurs.

Souffrir des douleurs qui nous sont épargnées

Devant le spectacle tragique de la guerre, des images de villes défigurées, des témoignages de ces femmes tenant par la main des enfants frigorifiés ou portant dans leurs bras des bébés en pleurs, les Européens répondent par la solidarité. Ils ouvrent leurs frontières aux deux millions de réfugiés, mettent à disposition des bus et organisent des collectes de vêtements et de médicaments.

Cette guerre est aussi faites d’images et d’opinions où le romantisme et l’effroi se mêlent. Il y a ces étudiants, sportifs, politiques, citoyens portant fièrement la mitraillette en bandoulière et rappelant l’iconographie héroïque des combattants pour la liberté. Mais il y a aussi ces familles à même le sol des métros glacés, ces visages de civils ensanglantés et ces cadavres d’enfants jonchant les rues. Cela ravive partout dans le Vieux Continent, les douloureux souvenirs gardés en héritage de l’histoire. Ainsi, Londres, Paris, Bruxelles, Luxembourg, Zürich, Rome, Zagreb ont été les théâtres de manifestations de soutien à l’Ukraine.

La liberté a un prix et si le sentiment d’indignation est assez fort pour payer celui des répercussions économiques, il pourra également détruire n’importe quelle image de marque associée au responsable de la guerre.

Face à un boxeur, il faut lutter

Afin d’éviter l’escalade d’un conflit armé entre des puissances nucléaires, l’Union européenne a préféré les voies de la diplomatie et des sanctions économiques tout en annonçant des aides logistiques, matérielles et d’équipement militaire à l’Ukraine.

Les décisions politiques contre la Russie sont d’importance puisque l’accès aux marchés européens des capitaux a été réduit, la vente d’avions et d’équipements aux compagnies aériennes et la diffusion des médias Russia Today et Sputnik interdites, les avoirs de Vladimir Poutine, de quelques 500 oligarques et de la Banque centrale russe ont été gelés, plusieurs banques ont également été exclues du système bancaire Swift et l’espace aérien européen leur a été fermé. Aux politiques de sanctions, viennent s’ajouter des initiatives privées et notamment de grands groupes.

Si une dizaine de fonds d’investissement luxembourgeois et une vingtaine en Europe, orientés vers la Russie ont par exemple été suspendus, des géants comme Mastercard, American Express et Visa y ont désactivés leurs systèmes. Apple, les jeans Levi’s, Coca-Cola, McDonald’s, Swarovski, Adidas y ont suspendu leurs activités et des groupes de luxe comme LVMH, Chanel, Hermes, Swatch Group (Tissot, Longines et Omega) y ferment leurs magasins. Tous redoutent que le sentiment d’indignation puisse détruire leur image de marque si elle était associée au régime de Poutine. Les répercussions dépasseraient alors largement les frontières russes et les réseaux sociaux.

Bien évidemment, toutes les enseignes internationales ne peuvent pas quitter le sol russe en raison du droit à la propriété aux mains de conglomérats étrangers et de propriétaires indépendants sous licence ou franchise par exemple. Certains groupes restent encore parce qu’ils produisent des biens de première nécessité. Selon le quotidien russe Kommersant, les pharmaciens russes manqueraient déjà d’insuline, de produits pour le traitement du diabète et de matières premières pour la fabrication de médicaments.

On sait que le départ des multinationales de l’Afrique du Sud a joué un rôle important dans la chute de l’apartheid en 1980 et aujourd’hui encore, elles sont de plus en plus nombreuses à restreindre leurs activités en Russie. À défaut de faire plier le Kremlin, cet effet d’accumulation pourrait engendrer une prise de conscience au sein de la population largement soumise à la propagande d’état. Mais peut-être aussi assurer un tournant dans les relations internationales en affirmant que les intérêts économiques ne sont pas tributaires des pouvoirs autoritaires mais bien des consommateurs.