Politique & Collectivités

‘Avec les Écolos, la situation aurait été différente’

Laurent / Publié le 07:10 20.09.2022 | 06 min


Les crises énergétiques et climatiques inquiètent, “l’Etat luxembourgeois doit aider les citoyens et les entreprises à surmonter ces moments difficiles”. Entretien avec Djuna Bernard, présidente du parti “déi gréng” et vice-présidente de la Chambre des Députés, qui incarne cette nouvelle génération d’élus «verts».

Djuna BERNARD

En matière de politique énergétique, quelle est la principale mesure que vous prendriez dans l’immédiat au Luxembourg?

Dans la situation actuelle, prendre une décision concernant les ménages qui sont confrontés à une hausse du prix de l’énergie et qui ne s’en sortent plus est nécessaire. Ces citoyens sont vulnérables et ont besoin d’une aide pour traverser cette crise. L’Etat ne peut pas les abandonner. Ils dépensent environ 2.000 euros de plus par an pour leur facture énergétique. Une prime annuelle qui devrait donc avoisiner ce montant. Les entreprises ne doivent pas être oubliées, elles ont déjà pas mal trinqué avec le covid et il ne faudrait pas que certaines ferment provisoirement cet hiver, en raison du prix élevé des factures d’électricité. En France, certaines entreprises ont déjà annoncé qu’elles arrêteraient momentanément leurs machines et leur production, afin de garantir la pérennité de l’usine. Des personnes seront mises au chômage. A nous, grâce à nos décisions politiques, d’éviter que ce genre de cas n’arrive au Luxembourg (NDLR : l’usine Duralex, dans la Loire).

Le Luxembourg pourrait-il se permettre une telle dépense d’argent, après les investissements supportés par l’Etat durant la crise de la covid?

Oui, le pays a encore une marge de manœuvre au niveau financier ! N’oublions pas que l’Etat luxembourgeois gagne aussi de l’argent pendant une crise. Quoi qu'il en soit, je pense qu’il faut le faire et aider les gens qui sont dans le besoin dans notre pays. Ce n’est pas de leur faute, après tout. On subit les conséquences de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. A l’heure où l’on demande aux gens de faire des sacrifices, il est également temps de se tourner vers les plus riches, vers ceux qui n’ont pas, ou peu subi les conséquences financières liées au covid et qui ont engendré de superprofits. Je suis pour l'instauration d’une taxe. Si tout le monde est solidaire et responsable, on s’en sortira.

Avec le recul, pensez-vous que le Luxembourg aurait mieux fait de ne pas s’impliquer dans le conflit ukrainien? Car aujourd’hui, c’est le citoyen qui trinque.

Je ne regrette pas les sanctions prises par l’UE à l’égard de Vladimir Poutine et de la Russie. Nous devions nous montrer solidaires avec l’Ukraine, car nous sommes du bon côté de l’Histoire. On ne se moque pas des valeurs comme la liberté et la démocratie. Poutine les a bafouées et c’est lui qui fait un chantage à l’Europe maintenant. Un jeu de force malsain qui ne profite à personne. C’est pour cela que le gouvernement doit aider la population. N'oublions pas non plus les citoyens russes, ils subissent aussi les conséquences de ce conflit.

“Je ne regrette pas les sanctions prises à l’égard de la Russie”

Pour soulager le portefeuille des citoyens, le gouvernement peut-il diminuer la TVA sur tous les produits liés à l'Énergie: essence, gaz, électricité?

On l’a déjà fait au printemps dernier. Il faut savoir qu’on ne peut pas non plus faire ce que l’on veut, sans regarder au niveau européen où la loi régit les taux minimum à appliquer. Certains alarmistes prédisent un rationnement en électricité en cas de pire scénario cet hiver. Cela fait un peu peur, je le concède. Même si c’est vrai que nous partons dans l’inconnu, je ne crois pas que le pays risque un blackout ou que le citoyen soit rationné au niveau de son électricité. Nous ferons tout pour éviter le pire. Le gouvernement a mis en place des réserves d’urgence pour le gaz. Dans quelques jours (NDLR: l’interview a été réalisée le 5 septembre), le gouvernement se met à table avec le patronat et les syndicats pour préparer la prochaine tripartite attendue à l'automne. Une nouvelle bipartite est prévue en septembre pour faire le point sur la situation économique du pays, fixer la méthode et un cadre.

Comment jugez-vous la politique environnementale et énergétique de ces dernières années?

Je reste convaincue que si les gouvernements précédents avaient fait le nécessaire, nous n’en serions pas là. L’écologie n’est pas un combat récent. Ma maman, il y a une quarantaine d’années, militait déjà pour la sauvegarde de la planète. Au lieu de prendre ces alertes concernant le climat au sérieux, les dirigeants d’alors ont ridiculisé les défenseurs de la nature et du climat. On se moquait des écolos, de ces “verts” qui ne pensaient qu’à l’environnement. Avec nous, la situation aurait été différente. Si nous avions été au pouvoir durant ces périodes, nous aurions développé et réalisé des investissements dans la recherche des énergies renouvelables, durables, dans l’éolien, le solaire, etc. On constate aujourd’hui que peu de choses ont été faites en ce sens et qu’on agit dans l’urgence, car on n’a plus le choix. Clairement, personne n’a pris la bonne direction dans la transition écologique et on en paye le prix en ce moment.

Où en est-on en matière de production électrique?

Nous ne serons jamais autonomes à 100% et nous avons besoin de renforcer nos partenariats avec d’autres pays européens, comme la Norvège par exemple. Quant aux parcs éoliens, ils se développent bien chez nous. Notre pays répond aux objectifs de l’UE et se montre aussi très ambitieux au niveau national. Dans le Plan National Climat, on s’était d’ailleurs fixés 2040 pour produire environ 1.100 GW/an avec les énergies renouvelables. L’ensemble des entreprises spécialisées dans ce domaine prévoit que nous atteindrons ce chiffre bien avant 2040 et elles ont elles-mêmes fixé l’objectif vers 2030.

On pousse le citoyen à investir dans l’isolation de sa maison, d’installer des panneaux photovoltaïques et des citernes pour récupérer l’eau de pluie, d’abandonner la voiture thermique, etc. Jusqu’où peut-on encore aller?

Lorsque je réalise certains gestes au quotidien, comme éteindre la lumière à la maison ou au bureau par exemple, on ne peut pas dire que ce soit un grand bouleversement dans ma vie. Il faut s’habituer et changer ses habitudes, moins consommer, améliorer l’isolation des bâtiments et bien d’autres choses que nous devons faire. Est-ce trop demandé pour ne pas détruire la planète et garantir de meilleures conditions de vie pour nos enfants? Chacun doit prendre ses responsabilités, peu importe le secteur d’activité dans lequel il vit ou il travaille. Si tout le monde fait un petit pas, on avancera. De plus, ce ne sont pas seulement les ménages qui doivent faire un effort; l‘industrie, les infrastructures publiques, l‘agriculture, etc. Tous les secteurs sont concernés.

“Chacun doit prendre ses responsabilités, peu importe le secteur d’activité dans lequel il vit ou il travaille. Si tout le monde fait un petit pas, on avancera”

La voiture électrique ne fait pas l'unanimité. De nombreuses voix affirment qu’elle n’a rien d’écologique, notamment au niveau de la fabrication et du recyclage des batteries. Qu’en pensez-vous?

Pour le moment, c'est la meilleure solution et cela ne doit pas constituer un frein à l’achat de ce type de véhicule. J’en ai d’ailleurs un pour le moment, je pollue donc moins d'émission CO2. Au fil du temps, d’autres technologies vont s’ajouter à cette alternative, comme l’hydrogène ou les biocarburants. Un plus pour diminuer la pollution. Je pense également que le principe du pollueur-payeur doit s’appliquer. Si on a une grosse voiture et qu’on rejette plus de CO2 dans l’air, il est logique de payer plus. Je suis d’accord et consciente que la fabrication des batteries électriques pose question. L’UE ne reste pas les bras croisés et travaille pour apporter des solutions afin d’améliorer le recyclage des batteries des voitures électriques. D’un autre côté, on fait le procès de ces véhicules, mais on n’entend moins les gens lorsqu’il s’agit de la production des Iphone, PC, etc.

La France ne peut se passer du nucléaire et l’Allemagne rouvre ses centrales à charbon. Qu’est ce que cela vous inspire?

Ce n’est pas la solution. On revient effectivement en arrière, mais il y a une grosse différence cette fois. Nous sommes dans une situation de crise exceptionnelle et ces mesures ne sont pas définitives. Bien entendu, si cela devait durer, cela changerait la donne. Ne jetons pas non plus l’opprobre sur l’Allemagne qui investit en parallèle dans les énergies durables, tout comme la France. Ce qui m’inquiète surtout, ce sont les infrastructures des centrales nucléaires vieillissantes et les canicules de plus en plus nombreuses. Cet été, les Français ont même arrêté certaines centrales en raison des températures élevées. C’était apparemment déconseillé. Ça m’interpelle et ça me fait peur. Voici encore un bel exemple d’une politique d’inaction. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de se préoccuper des infrastructures de ce type?

“Parce que c’est la responsabilité de tout le monde de faire quelque chose pour la planète. Si tout le monde attend, personne ne commencera”

Pourquoi le GDL, à l’instar d’autres petits pays sur l’échelle planétaire, doit-il faire des efforts pour diminuer les émissions de CO2, alors que les plus gros pays pollueurs, même s’ils agissent, pollueront toujours plus?

Parce que c’est la responsabilité de tout le monde, un devoir. Si tout le monde attend, personne ne commencera. L’UE a toujours été avant-gardiste, ambitieuse dans pas mal de projets et montre l’exemple une fois encore. Le Luxembourg suit le mouvement. Malgré la situation actuelle, l’UE garde toujours une place importante sur l'échiquier mondial. Ne jugeons pas les autres pays que vous appelez “grands pollueurs”.

Que pensez-vous de la Coupe du monde de football qui aura lieu au Qatar?

Je ne suis pas trop experte en foot, je ne m'attarderai donc pas sur un éventuel pronostic sportif (rires). Et je ne connais pas grand-chose quant au processus de sélection de ce pays. J’entends bien la polémique sur les morts liés à la construction des stades ou à l’aspect écologique (des systèmes de climatisation géants dans les stades). Si cela a été décidé par les instances internationales du football, c’est qu’elles ont estimé que le Qatar méritait l’organisation de la Coupe du monde et qu’il répondait à un cahier des charges bien précis. En ce sens, il faudrait, en tant que Fédération mondiale, sans doute repenser ce cahier des charges et y ajouter des critères plus stricts en matière de droits humains, d'écologie, etc.